Chapitre XII

Radjak avait réuni ses officiers dans sa grande tente de peau qui le suivait partout. Derrière lui, juché sur un solide perchoir, se tenait son falkis. C’était un étrange animal de la taille d’un aigle mais avec un corps gris poilu et d’immenses ailes membraneuses qu’il tenait repliées pour l’instant. Sa bouche triangulaire était surmontée d’un gros bec cornu qui lui servait à déchiqueter ses proies. Bien dressé, le falkis était un précieux auxiliaire à la chasse mais aussi à la guerre. De jour comme de nuit, il pouvait localiser à grande distance les rassemblements de dalkas. Comme un chevalier ne se déplace pas sans monture, il devenait facile de repérer l’adversaire. Pour l’heure, l’animal somnolait, indifférent aux cris de son maître.

Le Csar était furieux et tournait sa colère contre Katlo qui venait de lui faire son rapport.

— Je t’avais demandé de localiser la troupe ennemie et de m’en informer. Il ne fallait pas l’attaquer.

— Ils semblaient peu nombreux et j’ai cru pouvoir les anéantir facilement. Il n’y avait que des hommes à pied à l’exception de quelques cavaliers.

— Ce devait être encore Henri la main morte, marmonna Merchak.

— Si je les avais écrasés, reprit Katlo, rien ne nous séparait plus de Fréquor que nous pouvions prendre par surprise comme Pendarmor.

— Et tu aurais été le premier à y pénétrer pour la piller tout à ton aise avant mon arrivée, ricana le Csar. Pour satisfaire tes ambitions, tu as fait massacrer une grande partie de tes hommes qui peuvent me faire défaut lors d’une prochaine bataille. Plus grave encore, tu as désobéi à mes ordres. Tu n’es plus digne de commander. En souvenir de tes services passés, je ne te ferai pas exécuter devant la troupe. Je te laisse le choix de ta mort mais que ce soit fait avant demain matin.

Katlo pâlit fortement avant de s’écrier :

— Tu n’as pas le droit d’exiger cela de moi. Seul le conseil des anciens de ma tribu peut me destituer. S’il en est ainsi, je me retire avec mes guerriers.

— Tu m’avais juré obéissance et j’ai horreur de ceux qui renient leur parole.

Radjak passa la main sous son pourpoint et sortit ce qui semblait être un très beau médaillon orné de pierres précieuses. Il le contempla un instant et ses gros doigts le caressèrent. Soudain, un éclair aveuglant en jaillit. Il vint frapper au front Katlo qui s’effondra, un trou noir étant apparu, semblable à un troisième œil maléfique.

Médusés, les assistants ne réagirent pas. Radjak appela la sentinelle devant sa porte.

— Emporte cette charogne. Toi, Zak, fais nommer un nouveau chef pour diriger les Buffles.

Tous les officiers sortirent encore mal remis de leur surprise. Seul Merchak arborait un air ironique.

— Voilà une petite démonstration qui fortifiera la crainte que vous leur inspirez.

— C’était indispensable. J’enrage d’avoir perdu aussi sottement des hommes courageux.

— Votre armée reste puissante alors que Johannès ne peut plus compter que sur une poignée de fidèles.

— C’est cela qui le rend dangereux. Il va s’enfermer dans sa ville et les habitants garniront les remparts. Nous devrons faire un long siège et c’est ce que nos hommes détestent le plus. Je risque d’avoir de nombreuses désertions.

— Peut-être trouverai-je un moyen pour briser les murailles, murmura Merchak avec un étrange sourire.

Radjak n’eut pas le temps de le questionner car Zak reparut, suivi d’un cavalier couvert de poussière.

— Je voudrais que vous entendiez cet homme. Il arrive de Pendarmor à bride abattue.

En apprenant la destruction des châteaux d’Escarlat et de Pendarmor, le Csar entra dans une violente colère, aggravée par l’idée que la reine s’était échappée. Or, elle était une pièce importante dans sa lutte pour conquérir le trône. Ses éclats de voix éveillèrent son falkis qui émit un croassement indigné.

— Cette stratégie porte la signature de Henri la main morte, dit Merchak.

— Il ne peut être partout à la fois, rugit Radjak.

— Sans doute mais il a su donner des ordres. Il a laissé un détachement avec pour mission d’attaquer nos arrières. Il est probable que tous les convois et les renforts qui nous seront envoyés risquent d’être attaqués par surprise.

— Il est exact que ce groupe constitue un danger, admit Zak.

Radjak marchait de long en large comme un fauve en cage. Il prit soudainement sa décision.

— Nous ne pouvons laisser s’installer un mouvement de rébellion qui ne pourra qu’augmenter en puissance si les paysans le rejoignent. Nous rebroussons chemin pour exterminer ces rebelles à mon autorité et je veux des châtiments exemplaires.

Après un instant de silence, il ajouta avec un sourire féroce :

— Mieux vaut donner à Johannès le temps de battre le rappel de ses chevaliers. Le moment venu, nous lui lancerons un défi bien classique comme il les aime. Nous lui fixerons alors rendez-vous dans un lieu intelligemment choisi et nous l’écraserons comme la dernière fois.

 

*

* *

 

Les funérailles du roi se déroulaient dans le grand temple. Comme l’avait pronostiqué maître Arp, le roi était mort trois jours après son arrivée à Fréquor au grand dépit du grand alchimiste et surtout du grand prêtre qui n’était pas loin de suspecter une pratique démoniaque du barbier.

La cérémonie se terminait. Le dauphin sortit le premier, suivi de Priscilla encadrée par le connétable et son fils. Sur les marches du temple, le grand prêtre vint s’incliner devant le dauphin puis lança à la foule silencieuse :

— Le roi Johannès est mort. Vive le roi Karlus !

Les acclamations de la foule firent écho à cette déclaration. Toutefois, elles n’étaient pas aussi intenses qu’on eut pu le souhaiter. Tous les habitants étaient tenaillés par l’angoisse. Les nouvelles les plus fantaisistes couraient sur l’arrivée prochaine des Godommes. Or la silhouette chétive du nouveau roi n’inspirait guère confiance. Un grand et vaillant chevalier semblait préférable.

Le roi grimpa sur le dalka qu’un page tenait par la bride puis il regagna le château. Il s’enferma un long moment dans sa bibliothèque pour réfléchir. Bien qu’attendue, la mort de son père faisait peser sur ses épaules une responsabilité qu’il allait devoir assumer.

Un page passa la tête par l’entrebâillement de la porte.

— Je viens d’apprendre qu’une réunion doit se tenir dans la salle du conseil.

Karlus se leva en soupirant. La première épreuve arrivait. En pénétrant dans la pièce, il vit sa sœur installée dans le fauteuil à haut dossier de son père. Elle avait le connétable et son fils à sa droite et le grand argentier à sa gauche. C’était un grand vieillard maigre à la mine austère.

— J’espère que je ne trouble pas votre conciliabule, dit le nouveau roi.

Les participants se levèrent précipitamment.

— Nullement, s’empressa de lancer Priscilla. J’avais seulement demandé à nos amis de se réunir pour examiner la situation. Nous ne voulions pas vous déranger dans votre deuil.

— Fort bien. Je suis très désireux d’entendre vos avis.

Il fit quelques pas avant d’ajouter ironiquement :

— Je crois ma chère sœur que vous occupez ma place. C’est pour le moins prématuré.

Priscilla se leva vivement pour aller s’asseoir près de Renaud tandis que le jeune homme s’installait dans le fauteuil.

— Je vous écoute, dit-il simplement.

Après un instant de silence, le connétable émit d’une voix sourde :

— Il faut reconstituer notre armée. Vous devez appeler d’urgence le ban et l’arrière-ban de vos vassaux. Dès que cela sera fait, nous pourrons lancer un défi aux Godommes et les écraser.

— Convoquer les divers barons demandera beaucoup de temps, soupira le roi. Radjak nous le laissera-t-il ?

— Son but est le pillage et il est encore bien loin.

— Ce n’est pas évident ! Sans le sacrifice de messire de Guerreval, vous n’auriez pu fuir et les Godommes seraient déjà devant nos murs.

L’allusion à sa retraite précipitée fit rougir le visage du connétable qui crut devoir ajouter :

— Notre devoir était d’abord de protéger le roi.

— Je vous en remercie. Pour l’instant, je souhaite que vous envoyiez des éclaireurs pour nous informer de la situation de l’ennemi. Nous nous réunirons à nouveau demain. En attendant, je veux que notre grand argentier porte dans ma bibliothèque les comptes du royaume. Je désire tout connaître de l’état de nos finances.

Soudain très pâle, le vieux bredouilla :

— L’or perçu était versé dans un coffre dans lequel notre souverain puisait à sa guise. Il n’existe pas de registre des dépenses.

— C’est fâcheux et il nous faudra y remédier.

— Nous ne sommes pas des petits boutiquiers, lança la princesse de son ton le plus méprisant. Les preux n’ont pas besoin d’or pour combattre.

— Si nous levons des hommes d’armes, il faudra les équiper et cela coûte cher, dit Karlus.

Il se leva pour prendre le bras du grand argentier.

— Nous allons inspecter vos coffres et je vous expliquerai les règles que je désire établir.

 

Menée bon train par Yvain, la colonne avait progressé tout le jour. En fin d’après midi, une halte s’était révélée indispensable pour laisser souffler montures et cavaliers épuisés. Toutefois le jeune homme avait exigé de quitter la route pour se dissimuler dans la forêt. La reine s’était installée à l’ombre d’un grand chêne avec sa suivante, une gentille petite brunette, et Aliva.

Paul de Gallas s’était joint au groupe, appelé par la reine qui lui faisait conter ses aventures. Lorsque le nom d’Yvain fut mentionné, Aliva crut bon de minauder :

— Dans notre famille, tous les hommes ont un visage avenant. Il tire certainement sa laideur de sa mère que mon père a épousée en seconde noce.

La reine dissimula un sourire en songeant à son étreinte brève et cependant délicieuse.

— Aliva, vous n’êtes qu’une sotte, dit-elle d’un ton sec. Il faut savoir regarder au-delà des apparences. Messire Yvain est fort, courageux et surtout possède des qualités de cœur et d’intelligence que l’on ne rencontre que rarement. Je pense que vous devriez remercier l’Être Suprême d’avoir un frère comme lui.

La conversation s’interrompit car Yvain arrivait. Il regardait le ciel et une ride soucieuse barrait son front. Un falkis tournait dans les airs au-dessus de leurs têtes. Ses grandes ailes membraneuses le soutenaient et par instant il émettait un cri rauque. Lentement, il descendait vers le groupe.

— Il est rare de voir ces bestioles dans notre pays, nota de Gallas. D’ordinaire, elles vivent beaucoup plus au nord.

— C’est exact mais mon maître m’a dit que les Godommes les utilisaient pour la chasse, grogna Yvain.

L’animal survolait maintenant le groupe à faible altitude. Dans les rayons du soleil, ses ailes étaient presque transparentes. D’un claquement de doigt, Yvain fit signe à Xil de lui apporter son arc. Il engagea une flèche sur la corde, regarda longuement la direction du vent puis banda l’arc. Le trait s’élança et avec précision atteignit l’oiseau qui tomba à quelques mètres du groupe.

— Joli coup, apprécia Paul.

L’animal était encore agité de mouvements spasmodiques. Ses ailes s’étendaient et se repliaient avec un crissement soyeux.

— Cette bête est bien laide, dit Aliva.

Sa curiosité la poussa à approcher mais Yvain la tira brusquement en arrière sans se soucier de son cri indigné.

— Comment oses-tu porter la main sur moi ?

— Elle est encore dangereuse. Regarde les serres de ses pattes. Quand elles se plantent dans une proie, elles ne la lâchent plus.

Boudeuse, elle retourna près de la souveraine. Yvain lança soudain :

— Nous devons repartir immédiatement. La présence de ce falkis indique que des Godommes sont près d’ici.

Son ordre déclencha un tollé de protestations mais, la première, la reine se leva et demanda sa monture. Cela eut pour effet de faire taire les récalcitrants.

 

*

* *

 

Radjak chevauchait au milieu de sa troupe au grand trot. Voir contrarier ses plans par une poignée de rebelles le mettait d’humeur massacrante. Le terme était exact car il se promettait bien d’exterminer tous ceux qu’il capturerait. Zak ayant deviné la colère rentrée de son souverain chevauchait à sa droite et se gardait bien de parler.

Par instants, le Csar regardait au loin, dans le ciel, son falkis qui décrivait de grands cercles. Soudain, l’animal plongea vers la terre.

— Il a une petite faim, ricana Radjak, et il a trouvé une proie qu’il ne va pas tarder à nous ramener.

Plusieurs minutes s’écoulèrent seulement marquées par le piétinement des dalkas. Agacé de ne pas voir revenir son falkis, Radjak désigna l’endroit où il l’avait vu piquer et ordonna au cavalier qui le suivait de se mettre à sa recherche. L’homme esquissa une grimace car l’animal n’obéissait qu’à son maître et, dans un mouvement de colère, pouvait bien éborgner celui qui lui disputerait son repas. Toutefois, il obéit car le courroux de l’animal était encore moins dangereux que celui de Radjak.

Plus d’une demi-heure s’écoula avant que l’homme ne reparaisse. Il portait dans ses bras le falkis transpercé d’une flèche. Devant le tableau, Radjak poussa un hurlement de colère.

— Le coupable doit expier ce crime. Je veux qu’on le retrouve !

— Qui sait si ce n’est pas un groupe de rebelles, dit Zak.

— L’arc n’est pas une arme des soldats du roi. C’est plus probablement un manant qui braconne sur nos terres. Envoyez vingt cavaliers ratisser la forêt. Surtout, qu’on le prenne vivant. Je veux l’écorcher vif et puis lui arracher les entrailles.

Zak s’empressa de donner les ordres et les hommes désignés partirent au grand galop.

 

*

* *

 

Xil rejoignit Yvain qui chevauchait en tête de colonne. Sur l’ordre du jeune homme, Xil était resté en arrière avec mission d’observer les mouvements de l’ennemi.

— Messire, haleta-t-il, des Godommes sont sur nos traces.

— Nombreux ?

— Une vingtaine environ.

Yvain se tourna vers la reine.

— Vous allez fuir avec les gardes de votre escorte tandis que je retarderai l’ennemi.

 

Il regarda la petite troupe qui lui restait après les durs combats de Pendarmor.

— Toutefois faites vite car je ne sais si je pourrais leur barrer longtemps le chemin.

L’officier qui commandait les douze gardes qu’il lui restait commençait à les rassembler quand la reine intervint d’un ton sans réplique possible :

— Il est hors de question de fuir. Nous formons un groupe et nous resterons ensemble pour combattre.

Sentant la résolution inébranlable de la souveraine, Yvain s’inclina.

— Dans ce cas, il nous faut prendre des dispositions. Avec mes hommes, je vais me poster à l’extrémité de cette clairière tandis que les gardes se dissimuleront dans les bois. Nous croyant peu nombreux, les Godommes chargeront. Quand vous nous verrez engagés et seulement à ce moment, vous attaquerez l’ennemi par derrière.

Hésitant, l’officier objecta :

— Ne devrions-nous pas rester groupés et nous lancer sur l’adversaire de front, comme de loyaux combattants.

Yvain n’eut pas le temps de répliquer car la reine lança :

— Vous appliquerez le plan de messire Yvain. C’est un ordre que je vous donne.

L’officier ne put que s’incliner. Désobéir à la souveraine était fort dangereux pour sa future carrière… s’il devait y avoir un avenir. Yvain murmura alors à de Gallas :

— J’aimerais que vous l’accompagniez pour s’assurer qu’il ne fait pas de bêtises. Il vous sait proche du dauphin et acceptera plus facilement vos ordres que les miens.

Le groupe se scinda et Yvain mena ses hommes à travers la clairière jusqu’à l’orée de la forêt. Il obtint de la reine qu’elle accepte de se dissimuler dans le bois pendant le combat. D’un œil inquiet, il regarda les hommes qui s’alignaient. Ils étaient vêtus de tenues prises aux Godommes. Casques légèrement aplatis, pourpoints de cuir sombre renforcés de plaques de fer. Ils brandissaient des piques et des épées à lames larges.

Malheureusement, songea-t-il, l’habit ne suffit pas à faire un combattant. Il se reprocha aussitôt cette pensée car ces malheureux paysans avaient su combattre vaillamment leurs féroces adversaires et ils avaient lourdement payé le prix de leur audace.

Comme prévu, les Godommes ne tardèrent pas à arriver. Ils s’immobilisèrent un instant pour se regrouper puis ils chargèrent en poussant de grands cris. Yvain saisit son bouclier suspendu à sa selle et passa son avant-bras gauche dans les attaches. Xil lui tendit une lance qu’il avait ramassée la veille.

— Pour la reine, en avant, hurla le jeune homme.

 

Il concentra son attention sur l’ennemi qui arrivait rapidement. Instinctivement, les conseils de Cartignac revenaient en mémoire. Incliner son bouclier, viser sa cible. Le Godomme était maintenant tout proche. Un choc léger vite suivi d’un second. Il dut laisser tomber sa lance alourdie par les deux corps transpercés. Il était maintenant au milieu d’un groupe de Godommes. Ne jamais rester immobile, faire tournoyer son dalka, frapper de son épée tout adversaire à sa portée. Sous les ordres de son maître d’armes, il avait répété des centaines de fois la manœuvre. L’entraînement qui lui avait semblé fastidieux se révélait fort utile.

 

Un coup d’œil lui apprit que le premier choc avait été fatal à la moitié de sa troupe. Il ne lui restait plus qu’une poignée de cavaliers qui tentait désespérément de se regrouper autour de lui. Avec rage, il accéléra ses mouvements. Dans un nuage sanglant, il devina le visage crispé d’un Godomme, aussitôt effacé par le coup d’épée qui fit sauter la tête.

Des clameurs annoncèrent que Paul arrivait à son secours. Ses adversaires se firent moins pressants, lui permettant de souffler un instant. De Gallas arriva à sa hauteur, faisant de grands moulinets avec son épée plus impressionnants qu’efficaces.

— Attention ! cria Yvain en voyant un Godomme approcher derrière Paul qui ne se rendait pas compte du danger.

Il éperonna son dalka, bousculant son ami et, d’un terrible coup de pointe, perça le thorax du Godomme.

— Merci, souffla de Gallas qui réalisa enfin le danger couru.

L’arrivée des gardes fut déterminante. Il ne restait plus qu’un petit groupe d’ennemis vivement pressé. Un seul parvint à s’enfuir au grand dépit d’Yvain.

— Il va avertir ses amis qui connaîtront notre faiblesse, grogna-t-il. Il faut nous éclipser rapidement.

Au grand galop, il rejoignit la reine, accompagné de l’officier qui aurait souhaité pouvoir faire reposer ses hommes. La souveraine les accueillit avec un large sourire.

— Je vous félicite pour votre bravoure.

L’officier se rengorgeait déjà mais se renfrogna quand elle ajouta :

— Messire Yvain, je n’omettrai pas de conter au roi votre vaillance.

— Majesté, il convient de partir sans délais et nous devrons chevaucher une grande partie de la nuit.

Tandis que la troupe se rassemblait, la suivante, jolie petite brunette, glissa à Aliva :

— Ton frère est merveilleux. J’aimerais que tu me le présentes dès que nous en aurons l’occasion.

Aliva tressaillit à cette idée qui lui semblait ridicule.

— Comment peut-on désirer approcher quelqu’un d’aussi vilain ?

La reine intervint sèchement.

— Nous verrons cela plus tard. Pour l’heure, nous devons nous mettre en marche.

 

*

* *

 

La nuit était tombée depuis plusieurs heures et Radjak attendait toujours des nouvelles de ses hommes. C’est dire que son humeur était fort mauvaise et ses deux esclaves se terraient peureusement dans le fond de la tente. Elles devinaient que le reste de la nuit serait très désagréable pour elles d’autant que leur maître avait avalé force rasades de vin.

 

Seul Merchak paraissait détendu. Dès l’installation du camp, il avait fouetté copieusement sa servante avant de lui imposer son désir. L’arrivée de Zak le fit se retourner. À voir sa mine crispée, il n’était pas difficile de deviner qu’il était porteur de mauvaises nouvelles.

— Nos hommes sont tombés dans une embuscade dressée par les rebelles. Ils ont tous été massacrés. Un seul a réussi à s’échapper et vient de m’avertir.

— Je les ferai tous empaler, rugit Radjak. Nul ne peut ainsi défier mon autorité. Était-ce encore ce de Guerreval ?

— Notre homme ne le pense pas. Il a seulement noté la présence d’un cavalier portant une étoile sur son bouclier. Un véritable démon qui a abattu nombre des nôtres.

— C’est lui qui a tué Xino, remarqua Merchak. Il paraît qu’Henri la main morte a un disciple efficace.

— Je veux le voir hurler de douleur pendant des heures, grogna le Csar. Rassemble des hommes pour le poursuivre.

Zak s’empressa de filer avant que la colère de son maître ne se tourne contre lui.

— Je ne sais si c’est la bonne solution, murmura le sorcier. Pour le retrouver dans cette immense forêt, il faudrait organiser une gigantesque battue. Tous vos hommes n’y suffiront pas. De plus, s’ils se divisent en petits groupes, ils risquent de tomber dans des traquenards comme les autres.

— Je ne peux laisser ces crimes impunis, dit Radjak écumant de rage. Même si je dois y consacrer des mois, je les retrouverai.

— C’est probablement ce qu’ils veulent. À courir les bois, la troupe s’épuisera et cela donnera au roi le temps de reconstituer une puissante armée.

— Qu’importe, nous l’écraserons aussi facilement que la première, je te l’ai expliqué. Notre victoire n’en sera que plus éclatante.

L’argument ne parut pas convaincre Merchak.

— S’il écoute Henri, le roi ne se laissera pas prendre deux fois à la même ruse. Enfin, je crains qu’il ne rassemble tous ses paysans pour former une infanterie plus nombreuse que la nôtre. Son royaume est vaste, riche et très peuplé.

— Même si nous massacrons tous les hommes valides, mes guerriers se chargeront de le repeupler. Ils feront tant de bâtards que les matrones ne sauront où donner de la tête et des mains pour les sortir.

— Ce n’est pas un argument. Nous n’aurions jamais dû rebrousser chemin. Il fallait marcher directement sur Fréquor sans tenir compte des attaques sur nos arrières. Nous sommes tombés dans le piège qu’ils avaient tendu espérant bien que nous reviendrions sur nos pas.

Radjak abattit son poing sur la petite table posée devant lui. Sous le choc, le malheureux meuble vola en éclats. La colère obscurcissait le jugement du souverain qui hurla :

— Je ne veux plus entendre tes remontrances. Je suis le maître et j’agis comme je l’entends. Nous ratisserons cette forêt jusqu’à ce que nous ayons trouvé les criminels.

— Faites, ironisa Merchak, mais n’allez pas dire ensuite que vous avez été mal conseillé, Cuvez votre vin et nous en reparlerons plus sereinement demain.

Sous l’insulte, Radjak pâlit. Personne ne s’était permis de le traiter ainsi. Il glissa la main sous son pourpoint pour sortir son médaillon. Il le caressa un instant, fixant Merchak qui restait immobile, le visage impassible. Soudain, il le replaça dans son pourpoint en grimaçant.

— J’ai encore besoin de réfléchir. Va te coucher.

Les Sorcières du marais
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